Vous êtes chef d’entreprise et vous vous interrogez au sujet de la faute inexcusable. À quoi correspond-elle ? Quels sont les risques pour votre entreprise, pour vous-même ? Est-il possible d’y échapper ? Cet article définit la notion de faute inexcusable de l’employeur, explique dans quelles situations elle est retenue et comment l’éviter grâce au document unique.
Faute inexcusable de l’employeur : Définition
L’article L4121-1 du Code du travail impose à l’employeur de :
- Prendre toutes les mesures pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale de ses employés ;
- Mettre en oeuvre les mesures propres à éviter un accident du travail ou une maladie professionnelle.
Le régime de la faute inexcusable de l’employeur est fixé par les articles L452-1 et suivants du Code de la Sécurité Sociale.
La Cour de Cassation définit la faute inexcusable de l’employeur de la manière suivante :
“En vertu du contrat de travail, l’employeur est tenu envers le salarié d’une obligation de sécurité de résultat, notamment en ce qui concerne les maladies professionnelles/les accidents du travail. Le manquement à cette obligation a le caractère d’une faute inexcusable, au sens de l’article L. 452-1 du Code de la Sécurité sociale, lorsque l’employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié, et qu’il n’a pas pris les mesures nécessaires pour l’en préserver.”
L’employeur a une obligation de sécurité de résultat.
Seule la faute inexcusable du salarié peut exonérer l’employeur de sa responsabilité.
Elle est définie, par un arrêt du 27 janvier 2004, comme « la faute volontaire du salarié, d’une exceptionnelle gravité, exposant sans raison valable son auteur à un danger dont il aurait dû avoir conscience ». Il s’agit du cas où, en toute connaissance de cause, le salarié s’est volontairement et gravement mis en danger. Cela reste une situation très exceptionnelle.
Faute inexcusable de l’employeur : quand est-elle reconnue ?
Juridiquement, pour que la faute inexcusable de l’employeur soit reconnue par le Tribunal, la victime d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle doit démontrer :
- Que son employeur avait, ou aurait dû avoir connaissance du danger auquel il était exposé.
- Que l’employeur n’a pas pris les mesures nécessaires pour l’en protéger.
Si la preuve est apportée que l’employeur a été négligent, sa responsabilité est établie puisqu’il est tenu, par le contrat de travail, d’une obligation de sécurité de résultat.
Par un arrêt du 24 juin 2005, l’Assemblée Plénière de la Cour de cassation a confirmé sa définition de la faute inexcusable, en ajoutant :
“Qu’il est indifférent que la faute inexcusable commise par l’employeur ait été la cause déterminante de l’accident survenu au salarié mais il suffit qu’elle en soit une cause nécessaire pour que la responsabilité de l’employeur soit engagée, alors même que d’autres fautes ont concouru au dommage.”
Il faut donc bien comprendre qu’il suffit que la faute de l’employeur ait contribué à la réalisation du risque pour que sa responsabilité soit engagée, même si cette faute n’est pas la cause prépondérante.
La jurisprudence : Exemples de cas où la faute inexcusable a été retenue
La jurisprudence est très claire : peu importe que la victime ait commis une faute ou une imprudence, il suffit que la faute de l’employeur soit une cause nécessaire du dommage.
Un accident du travail ou une maladie professionnelle peuvent être causés à la fois par :
- La faute d’un tiers : une autre entreprise ou un particulier ;
- La faute de l’employeur ;
- Et la faute de la victime.
Le Tribunal recherche simplement si la faute de l’employeur est la cause nécessaire de l’accident ou de la maladie.
Découvrez 3 exemples de situations au cours desquelles la faute inexcusable de l’employeur a été retenue.
Cas 1 : Un salarié manipule un engin sans avoir reçu de formation adéquate
Les faits : Monsieur X…, salarié de la société Vedior bis aux droits de laquelle vient la société Randstad, a été victime d’un accident, le 23 septembre 2002, alors qu’il était mis à la disposition de la société Sos Debouche.
Sollicitant la reconnaissance de la faute inexcusable de son employeur, M. X… a saisi une juridiction de Sécurité sociale d’un recours.
Le document unique, dans ses catégories “Formation du personnel” et “Manutention mécanique” aurait dû prendre en compte les risques liés à la manipulation d’engins de chantiers et les besoins de formation des salariés.
La Cour de cassation reconnaît la faute inexcusable de l’employeur constatant que le salarié avait piloté un engin pour lequel il n’avait pas reçu de formation.
Cas 2 : Une salariée se blesse puis décède du fait de l’encombrement de sa zone de travail
Les faits : Marie Céline X… épouse Y…, salariée de la société Isoplast, a été victime d’un accident du travail le 21 avril 2006, occasionné par une chute, est décédée le 28 avril suivant des suites d’une….
Les témoignages suffisent à établir que la chute de la victime résulte du fait qu’elle s’est prise les pieds dans un câble, dont la présence était établie tout comme son rôle causal dans la chute de la victime. La déclaration d’accident du travail mentionne « avant de reprendre son poste pour le travail de l’après-midi, Mme Y… a chuté dans la cour et est tombée sur le ventre ». L’accident a eu lieu sur le sentier menant à l’atelier et emprunté par les salariés y travaillant.
Le Document Unique dans sa catégorie « Déplacements dans les locaux » aurait dû prendre en compte les risques liés à l’encombrement et aux infrastructures du lieu de travail.
La Cour de Cassation reconnait la faute inexcusable de l’employeur.
L’employeur :
- Doit protéger son personnel contre les dangers qu’il court, tant sur le lieu de travail qu’en ses abords immédiats et, en particulier, aux endroits qu’il doit emprunter pour y accéder ;
- Aurait dû avoir conscience du risque de chute encouru par le personnel qui emprunte un accès pentu pour se rendre à l’atelier ;
- En ne débarrassent pas le sol des obstacles pouvant concourir à des chutes, ou en ne signalant pas la présence de ces obstacles n’a pas pris les mesures nécessaires pour préserver sa salariée du danger encouru.
Qu’en l’état de ces constatations et énonciations relevant de son pouvoir souverain d’appréciation de la valeur et de la portée des éléments soumis aux débats, la Cour d’appel a pu décider, sans se contredire quant aux circonstances de l’accident, que la faute inexcusable de l’employeur était établie.
Cas 3 : Un inventoriste, salarié d’une société de travail temporaire, subit un accident du travail en effectuant des tâches sortant de sa mission (Démontage d’échafaudages)
Les faits : M. X…, salarié de la société de travail temporaire Caposud (l’employeur), mis à disposition de la société Altrad Arnholdt (l’entreprise utilisatrice) a été victime, le 19 juin 2007, d’un accident qui a été pris en charge par une caisse primaire au titre de la législation sur les risques professionnels.
M. X… a engagé une action en reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur devant une juridiction de Sécurité sociale.
Le Document Unique dans ses catégories « Chute de hauteur » et « Formation du personnel » aurait dû prendre en compte les protections antichutes à mettre en place lors de phases de démontage d’un échafaudage et formations adéquates.
La Cour de Cassation reconnait la faute inexcusable de l’entreprise utilisatrice.
Attendu que l’arrêt énonce que les pièces versées aux débats révèlent que le jour de l’accident, M. X… s’était vu affecter aux termes du contrat de mission, au poste d’inventoriste et plus spécifiquement à des travaux de relevé des stocks alors que dans la réalité il s’est trouvé occupé à manipuler différents éléments, notamment des poteaux, durant la phase de démontage.
Il n’est pas démontré qu’il aurait bénéficié d’une formation renforcée à la sécurité de la part de son employeur, ni même d’une quelconque information sur la spécificité et la dangerosité de l’intervention sur le chantier par l’entreprise utilisatrice, la remise d’un livret d’accueil ne pouvant à cet égard être tenu comme constituant une information et une formation suffisantes.
Les éléments concordants du dossier font à cet égard apparaître que le salarié s’est trouvé à travailler dans un lieu présentant un risque inhérent à la chute de pièces, sans qu’une zone de sécurité ou un filet de protection aient été mis en place et sans qu’il soit établi de manière certaine qu’un équipement de protection individuel destiné à le prémunir notamment de la chute d’éléments d’échafaudage lui ait été fourni.
Par ces constatations et énonciations, la Cour d’appel, dans l’exercice de son pouvoir souverain d’appréciation de la valeur et de la portée des éléments de preuve produits aux débats, a suffisamment caractérisé l’absence de formation spécifique à la charge de la société utilisatrice, malgré la dangerosité du poste auquel le salarié intérimaire était affecté et en a exactement déduit que la victime pouvait se prévaloir de la présomption de l’article L. 4154-3 du Code du travail, l’entreprise utilisatrice ayant commis une faute inexcusable.
Remarque
Depuis un arrêt de la Cour de Cassation de 2012, le stress et les risques psycho-sociaux entrent dans le champ de la faute inexcusable. Elle a été reconnue à l’encontre d’un employeur qui avait surchargé de travail son salarié.
Faute inexcusable : Les conséquences financières pour l’employeur
Les conséquences financières de la faute inexcusable peuvent être lourdes : quand la faute inexcusable est retenue, “l’auteur de la faute inexcusable est responsable sur son patrimoine personnel des conséquences de celle-ci “ (article L 452-4, alinéa 2 du Code de la Sécurité sociale).
Lorsque la faute inexcusable de l’employeur est reconnue, la victime obtient, outre les prestations auxquelles elle avait déjà droit en application du Code de la Sécurité sociale, une indemnisation complémentaire composée d’une majoration de rente (ou de capital) et de dommages et intérêts.
L’article L.452-3 du Code de la Sécurité sociale prévoit l’indemnisation :
- Des souffrances physiques et morales ;
- Du préjudice esthétique ;
- Du préjudice d’agrément ;
- De la perte de chance de promotion professionnelle.
La Cour de Cassation a complété cette liste avec les postes de préjudice suivants :
- Les frais d’aménagement d’un véhicule adapté en raison du handicap ;
- Les frais d’aménagement du logement en raison du handicap ;
- Le préjudice sexuel ;
- Le déficit fonctionnel temporaire (incapacité fonctionnelle et perte de qualité de vie avant la consolidation) ;
- Le besoin d’assistance par une tierce personne avant consolidation.
La Sécurité sociale verse au salarié victime de l’accident du travail ou de la maladie professionnelle les majorations et récupère ensuite ces sommes auprès de l’employeur.
Les tribunaux hésitent de moins en moins à condamner des employeurs pour “faute inexcusable” à l’égard d’un employé.
“Tout employeur devra s’interroger, désormais, quant à la mise en place d’une véritable politique de prévention des risques professionnels au sein de son entreprise.” (Me Albane Rozière-Bernard, Avocate au Barreau de Bordeaux).
Éviter la faute inexcusable : Le document unique
En cas d’accident du travail ou de maladie professionnelle, l’employeur doit démontrer que sa responsabilité ne peut être engagée.
Pour cela il doit justifier que l’accident ou la maladie professionnelle qui vient d’avoir lieu a bien été évalué et qu’une mesure préventive existe.
Dans le cas contraire c’est sa propre responsabilité qui est engagée au titre de la faute inexcusable de l’employeur.
L’assurance professionnelle
Certains dirigeants disent être assurés contre la faute inexcusable par leur assurance professionnelle (RC PRO ou DÉCENNALE). Il faut savoir que lorsque c’est le cas, il y a de nombreuses exclusions que l’on retrouve dans les conditions générales de l’assureur.
Deux points sont à distinguer :
- D’une part la société (dite personne morale) qui peut être protégée de la faute inexcusable.
- D’autre part le dirigeant en tant que personne physique (dite mandataire social) qui n’est en général pas assuré en ce sens.
Dans les textes officiels, il est dit que la personne physique est directement attaquable au titre de la faute inexcusable de l’employeur sur son patrimoine.
Un dirigeant ne peut raisonnablement pas prendre le risque de se retrouver devant un juge en expliquant qu’il n’a pris aucune mesure de prévention des risques envers son personnel sous prétexte qu’il est assuré.
Le Document unique : Un outil de gestion des risques
En cas d’accident du travail ou de maladie professionnelle, l’employeur doit donc prouver que sa responsabilité ne peut être engagée.
Pour cela il doit justifier que l’accident du travail ou la maladie qui vient d’avoir lieu a bien été évalué et qu’une mesure préventive existe.
Comment faire ?
Pour parvenir à ce résultat l’employeur doit réaliser un audit complet des risques professionnels liés à son activité.
Cet audit permet :
- D’évaluer tous les risques afin de prévoir une prévention pour chacun d’entre eux ;
- D’établir un document appelé : Document unique d’évaluation des risques professionnels.
Ce document unique doit être utilisé comme un véritable outil de gestion des risques.
L’employeur doit former et informer son personnel sur :
- Ce qu’est le document unique ;
- Son utilité ;
- Les consignes de sécurité à respecter qui en découlent.
Le document unique doit être laissé à disposition permanente du personnel.
Il doit être remis à jour chaque année.
Il faut bien comprendre que ce n’est pas le document unique en soi qui est important, mais son contenu. Plus ce document est complet et exhaustif, plus le personnel est protégé et moins le dirigeant risque de voir sa responsabilité engagée.
“La sécurité et la santé au travail doivent être l’objet d’une amélioration continue. Cependant elle ne doit pas être vécue comme une contrainte mais comme une source de progrès” remarque Christophe CARON de C2C PRÉVENTION.
Ce qu’il faut retenir au sujet de la faute inexcusable de l’employeur
- L’employeur a une obligation de résultat concernant la protection de la santé physique et mentale de son personnel.
- La faute inexcusable de l’employeur correspond au manquement de ce dernier à son obligation de sécurité de résultat, notamment révélé par un accident du travail ou une maladie professionnelle.
- L’auteur de la faute inexcusable est responsable sur son patrimoine personnel des conséquences de celle-ci.
- L’importance du document unique : un document unique complet, exhaustif et mis à jour annuellement permet d’éviter la faute inexcusable de l’employeur.
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C2C PRÉVENTION vous accompagne dans la réalisation de votre document unique.